« La Tunisie a importé en moyenne sur la période 2018-2021, 93% de sa consommation de blé tendre, 67% d’orge et 40% de blé dur. Plus de la moitié de ses importations de céréales dépendent de la Russie et de l’Ukraine. Le pays qui paie ses importations en dollar, subit ainsi, un double choc, celui de la guerre et celui de la dépréciation de sa monnaie ».
« La Tunisie figure parmi les pays qui payent la facture bien salée de la guerre russo-ukrainienne qui se déroule à environ 2 528,37 km (à vol d’oiseau) de la capitale Tunis. L’impact de cette guerre sur le pays est estimé à une variation du taux de croissance de – 2,5% et de -2,2%, respectivement en 2022 et 2023, par rapport à une situation sans guerre », selon une étude réalisée par l’ONU Habitat et l’UNECA.
Cette étude sur l’impact de cette guerre sur le pays, a fait l’objet d’un atelier organisé à Tunis par le bureau Maghreb de l’ONU Habitat et le bureau régional Afrique du nord de la CEA (UNECA) en partenariat avec le Bureau du Coordonnateur résident des Nations Unies en Tunisie, sur le thème « Débusquer les effets de la guerre russo-ukrainienne : Comment anticiper et se préparer aux retombées de la guerre russo-ukrainienne sur la sécurité alimentaire en Tunisie ? ».
« La Tunisie a importé en moyenne sur la période 2018-2021, 93% de sa consommation de blé tendre, 67% d’orge et 40% de blé dur. Plus de la moitié de ses importations de céréales dépendent de la Russie et de l’Ukraine.
Le pays qui paie ses importations en dollar, subit ainsi, un double choc, celui de la guerre et celui de la dépréciation de sa monnaie », a souligné l’économiste Mohamed Haddar, auteur de cette étude.
« Baisse des enveloppes consacrées à l’éducation, la santé, et l’investissement »
Toujours selon lui « la flambée des prix des céréales, des engrais et de l’énergie suite à la guerre en Ukraine, a provoqué, entre autres, une explosion des dépenses de subventions, une hausse du déficit budgétaire et partant une réduction de l’espace budgétaire, une baisse des enveloppes consacrées à l’éducation, la santé, l’investissement…, des difficultés d’approvisionnement, des pénuries (pain, farine, semoule, sucre, riz, produits agricoles etc), une dépréciation de la monnaie nationale et une aggravation de l’inflation…».
S’agissant de l’impact sur les ménages, Haddar a indiqué « notre simulation indique que la guerre en Ukraine impacte pratiquement de la même façon aussi bien les hommes que les femmes. Les gagnants de cette guerre sont essentiellement, les patrons des petits métiers dans l’industrie, qui verraient leur bien-être augmenter d’environ 16% en 2022 et de plus de 18% en 2023, ainsi que les cadres supérieurs qui connaitraient une amélioration de leur bien-être d’environ 0,6% en 2022 et 0,4% en 2023 ».
Haddar a toutefois, relevé que « la liste des perdants est beaucoup plus longue. Ainsi, les ouvriers agricoles seraient sévèrement touchés. La perte de leur bien-être serait de plus de 13% en 2022 et de plus de 16% en 2023.
Les cadres moyens, eux, subiraient une baisse de leur bien-être de 4%.
Les chômeurs perdraient 3 à 4% de leur bien-être.
Les retraités perdraient près de 2%, les exploitants agricoles subiraient une perte d’environ 2% en 2022 et de 4% en 2023.
Les autres inactifs perdraient près de 0,3% de leur bien-être (900 mille travailleurs occupent des emplois informels en 2020).
Mesures d’atténuation
L’auteur de l’étude pense que pour atténuer les impacts de la guerre sur la croissance, le budget et les ménages, l’État doit agir sur quatre grands axes.
Le premier axe consiste en la maîtrise de l’inflation, à travers, entre autres, l’amélioration du climat des affaires (suppression des autorisations, transparence fiscale, etc.) pour relancer la croissance économique, la relance des exportations afin de réduire substantiellement le déficit de la balance commerciale et l’indexation des salaires à la productivité.
Le deuxième axe consiste en l’élaboration et la mise en place d’une nouvelle politique céréalière participative dans une approche de sécurité alimentaire, de productivité et de résilience.
À ce propos, il va falloir revoir la gouvernance de la filière céréalière dans une approche participative ; soutenir les producteurs agricoles ; réhabiliter la Petite Exploitation céréalière (PEC) compte tenu de son rôle économique, social et environnemental ; réduire la dépendance du pays en blé tendre de 93% à 40% d’ici 2030 ; réviser les mécanismes de fixation des prix des céréales et des autres produits alimentaires et développer la recherche et l’innovation.
Le troisième axe c’est celui de la garantie d’une sécurité énergétique maîtrisée. Il est ainsi important de réduire le taux de dépendance énergétique du pays à 35% en 2035, en maîtrisant la demande au niveau de tous les secteurs d’activité (industrie, transport, bâtiment), à travers une suppression progressive de la subvention énergétique, en mettant en valeur toutes les ressources naturelles du pays (fossiles, renouvelables, conventionnelles et non conventionnelles) et en encourageant des investissements privés conséquents.
Il est aussi, impératif dans ce sens d’appliquer les principes de la bonne gouvernance par les institutions et entreprises publiques, d’assurer la protection des infrastructures vitales contre les risques de dégradation conduisant à de longs et fréquents arrêts, de constituer un stock stratégique et de sécurité, d’anticiper les changements et les mutations dans la région et dans le monde et de relancer l’investissement étranger.
Le quatrième axe c’est celui de la révision du système de subventions. Il s’agirait de mettre en place des programmes visant à aider les entreprises et les ménages à investir dans l’efficacité énergétique et l’autoproduction de l’énergie renouvelable et de réduire l’impact de la réforme sur les populations pauvres et vulnérables (tarifs stables pour l’électricité et le gaz réservés à ces populations, etc.).